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Rencontre avec Xavier Coste, auteur et dessinateur du Journal de 1985

Il était déjà venu présenter 1984 dans notre micro ! Le dessinateur et scénariste Xavier Coste revient pour nous présenter son nouveau projet. Talentueux et doté d’une grande gentillesse, Xavier appartient aux amis du podcast. Ce n’est donc pas un hasard si le nouveau héros de son roman s’appelle Lloyd en hommage à un mystérieux amoureux de la science-fiction ;)

Pourquoi avoir choisi de proposer une suite à l'œuvre culte de George Orwell, 1984 ? Était-ce un projet que vous aviez en tête depuis longtemps ou une opportunité liée à l'entrée dans le domaine public du roman ?

Pendant plus de quinze ans, j'ai voulu adapter 1984. Une fois que j’ai commencé à travailler dessus, j’avais tellement réfléchi à ce projet que des idées d’écriture ont commencé à émerger.

Mais je m’interdisais de les utiliser parce que je voulais rester fidèle au texte. Cependant, je me suis permis quelques libertés graphiques.

Quand ma BD est sortie, j’ai continué à avoir des idées en permanence, ce qui m'a rendu un peu mal à l’aise. Je me disais que faire une suite à 1984 serait ridicule, que les gens allaient penser à une blague. Si le livre était mal reçu, cela dévaloriserait l’adaptation de 1984.

J’ai mis plus d’un an à en parler à mon éditeur, alors que j’avais déjà quasiment tout écrit. Je savais que cela susciterait des attentes à tel point qu’au départ, j'avançais presque à reculons.

Mon éditeur était partant dès le début, mais il m’a fait réécrire le scénario plusieurs fois. Il s’est tellement impliqué dans le projet qu’il ne voulait même pas qu’on en parle au sein de la maison d’édition. Finalement, il a fini par coécrire le scénario avec moi, mais sous un pseudonyme.

Comment avez-vous conçu ces nouveaux protagonistes, et comment avez-vous navigué entre la fidélité à l'univers orwellien et votre propre imaginaire ?

1985 se détache des personnages emblématiques de 1984 pour en introduire de nouveaux. Le projet était très instinctif, mais je me serais senti comme un imposteur si j’avais continué avec les personnages originaux d'Orwell.

Il me fallait créer de nouveaux personnages et de nouveaux enjeux. Cependant, il était essentiel que Journal de 1985 commence là où 1984 s’arrête, pour ensuite introduire de nouveaux éléments.

Quant aux prénoms, je cherchais des noms anglais qui sonnent bien mais qui ne soient pas trop courants. Lloyd Chéry a un super prénom ! Et si je fais 1986, je crois que j’appellerai le personnage Michel, histoire de passer chez Michel Drucker !

Quand on regarde vos dessins, surtout dans le deuxième tome, il y a une atmosphère de fin de régime, comme si tout s’effondrait. Sur certaines planches, on voit des piles de voitures et des immeubles imposants qui rappellent l’Europe de l’Est.

Est-ce que les récents événements politiques, notamment la guerre en Ukraine, ont influencé votre travail, que ce soit graphiquement ou idéologiquement ?

Complètement. J’ai commencé à réfléchir à Journal de 1985 pendant le premier confinement. Entre-temps, le monde a beaucoup changé. Les restrictions de liberté, les guerres, les menaces…

Quand je travaillais sur la BD, il y avait ce sentiment que la guerre allait éclater du jour au lendemain. De hauts dignitaires russes déclaraient qu’ils n’hésiteraient pas à utiliser des armes nucléaires.

Tout cela m’a profondément influencé. L’intelligence artificielle aussi, qui a explosé en l’espace d’un an et demi, au point de devenir omniprésente.

Visuellement, beaucoup des décors que j’ai utilisés dans Journal de 1985 sont inspirés de villes ukrainiennes bombardées. Pour moi, cela avait du sens d’inclure ces éléments dans l’univers de la BD.

C’est vrai qu’on vit dans un état d’urgence permanent, anxiogène au possible. Dans 1984, je n’avais même pas pensé à dessiner des militaires armés dans les rues. Aujourd'hui, c’est devenu banal. Je voulais refléter cette société sécuritaire et en même temps très fragile.

Le style soviétique et brutaliste est très présent dans Journal de 1985, surtout dans les scènes d’intérieur ou dans le bunker. C’était une esthétique que je voulais explorer.

On voit bien cette ambiance austère, avec beaucoup de gris et de beige. Pourquoi avoir choisi ces teintes, aussi bien dans 1984 que dans Journal de 1985 ?

Dans 1984, les décors de la ville et des bureaux étaient plus cliniques, avec des couleurs plus vives. Pour Journal de 1985, je voulais une atmosphère plus étouffante. Trouver le bon style n’a pas été facile, car je voulais éviter la redite.

J’avais vraiment envie de proposer quelque chose de nouveau, tout en gardant une certaine continuité. C’est la première fois que je ressentais le besoin de revenir dans un univers déjà exploré, mais avec suffisamment de nouveautés pour justifier une suite.

En fait, je me suis inspiré de La Route de Cormac McCarthy, un projet que je voulais adapter mais que je n’ai pas pu faire. J’avais déjà travaillé sur des planches dans cette ambiance enneigée et j’ai pu transposer cette atmosphère dans Journal de 1985.

Il y a certaines scènes marquantes dans la BD, comme celle où les frères se battent, ou bien encore le passage avec l’enfant et le vote. J’imagine que créer des scènes d’action ou des moments de tension en BD est tout un art.

Comment avez-vous abordé ces moments-là ?

Je dessine très vite, mais je jette beaucoup. On a dû jeter une quarantaine de planches finalisées parce qu’elles ne collaient pas au récit. Parfois, il faut savoir élaguer pour ne pas surcharger l’histoire.

Ce n’est pas là où je suis le plus à l’aise. Mon dessin est plus atmosphérique et les scènes d’action, comme celle des frères, sont des moments que je repousse.

J’ai besoin de dessiner ces scènes d’une traite, sinon je perds l’énergie nécessaire. Si je commence une scène de combat, je dois la finir le jour même, sinon le trait diffère le lendemain.

En ce qui concerne le processus créatif, est-ce que vous dessinez dans l’ordre chronologique du récit, du premier au dernier chapitre ?

Pas du tout. Suivre un ordre chronologique m’ennuie. En revanche, je fais un storyboard complet dès le début, ce qui me permet de visualiser l’ensemble et de modifier des choses en cours de route. Ensuite, j’attaque plusieurs pages en même temps, souvent en commençant par le milieu du livre.

Les premières pages sont toujours les dernières que je dessine, parce que ce sont celles que les lecteurs verront en premier lors d’une preview et cela me met la pression.

J’aime aussi dessiner par blocs : parfois, je vais dessiner uniquement les visages sur une trentaine de pages, puis je m'attaque aux décors. Cela donne l’impression de ne pas avancer pendant des mois, mais au bout d’un an, je me rends compte que tout est presque fini.

Techniquement, vous travaillez plutôt de manière traditionnelle, à la main, ou bien avec le digital ?

C’est un mélange des deux. Je commence toujours par l’ordinateur pour organiser mes bulles et mes cases. Ensuite, j’imprime un ancrage léger que je retravaille à la main, avec des effets de pinceau et un lavis pour ajouter de la matière.

Cela me permet d’avoir un cadre bien défini, tout en gardant une certaine flexibilité. Je scanne ensuite le tout pour ajouter les couleurs et lisser certains éléments. Mon dessin est très spontané, mais parfois, il peut brouiller la lecture, donc j’essaie de tempérer tout ça en post-production.

Votre approche graphique et narrative a beaucoup évolué depuis vos premières œuvres.

Comment voyez-vous cette évolution, et dans quelle direction aimeriez-vous faire progresser votre travail d’auteur et de dessinateur à l’avenir ?

Je ressens le besoin de passer à autre chose, d’explorer un nouvel univers. 1984 est derrière moi, surtout qu’il y a un projet de film d’animation en développement. J’ai fait le tour de cet univers dystopique.

Je pourrais éventuellement retravailler dans ce genre, mais avec une histoire totalement indépendante. J’ai peur de la redite. Je suis en train de finir un nouvel album très lumineux et coloré.

J’avais vraiment besoin de ça après avoir macéré si longtemps dans des thèmes sombres. J’ai aussi voulu terminer Journal de 1985 sur une note d’espoir, parce que sinon, on peut facilement sombrer dans le pessimisme.