De Caladan à Arrakis
Par Roland Lehoucq
Qu’elle soit proche ou lointaine, abritant la vie ou totalement stérile, la planète est l’un des éléments incontournables de nombreuses œuvres de science-fiction au point d’en devenir parfois un personnage principal. À l’heure où nous avons découvert plus de 4 200 exoplanètes, que peut-on dire des mondes mis en scène par Frank Herbert dans Dune ? Sont-ils plausibles ? Peut-on déterminer leurs caractéristiques ? Enquêtons sur les deux systèmes planétaires les plus emblématiques de l’univers de Dune.
Caladan, une planète-océan scientifiquement hypothétique
Caladan, la troisième planète de l’étoile Delta Pavonis, est le fief ancestral de la Maison Atréides qui la gouverne depuis vingt-six générations.
Située en direction de la constellation australe du Paon, Delta Pavonis est distante de 19,9 années-lumière de la Terre. Sa masse est quasiment égale à celle du Soleil pour une luminosité 1,22 fois supérieure. Avec un âge compris entre 6,6 et 6,9 milliards d’années, Delta Pavonis est une étoile un peu plus âgée que la nôtre en train d’achever la combustion de son hydrogène central. D’ici 1 ou 2 milliards d’années, elle devrait atteindre le stade de géante rouge.
Delta Pavonis est la plus proche étoile semblable au Soleil qui ne soit pas membre d’un système stellaire binaire et, pour l’instant, elle ne possède aucune exoplanète connue. Sa relative proximité et sa similarité avec le Soleil ont bien sûr attiré l’intérêt des astronomes qui l’ont placée dans la liste des cent premières étoiles cibles du projet de télescope spatial Terrestrial Planet Finder de la NASA, malheureusement reporté sine die en 2007.
Au vu de son étoile à peine plus lumineuse que le Soleil, le rayon de l’orbite de Caladan doit être 1,1 fois supérieur à celui de la Terre pour qu’elle reçoive le même flux lumineux. Plusieurs extraits de l’œuvre de Herbert indiquent que la surface de Caladan est largement recouverte d’eau. Une planète-océan pourrait-elle exister ?
Même si l’on dispose d’assez peu d’informations sur les caractéristiques physiques des exoplanètes découvertes jusqu’à présent, cela n’a pas empêché les astrophysiciens d’imaginer à quoi elles pourraient ressembler. En 2004, une équipe française envisagea sérieusement la possibilité d’une planète complètement recouverte d’eau. Pour former une planète-océan, les chercheurs ont proposé un scénario fondé sur l’évaporation d’une géante gazeuse de la taille de Neptune, qui se serait rapprochée de son étoile à cause du phénomène de migration planétaire.
Ce processus se produit à la fin de la formation de la planète, lorsqu’elle interagit gravitationnellement avec le disque résiduel de gaz et de planétoïdes en orbite autour de l’étoile mère. Ces interactions modifient les paramètres orbitaux de la jeune planète, notamment en diminuant le rayon de son orbite. Ce phénomène de migration planétaire de l’extérieur vers l’intérieur du système planétaire est l’explication la plus plausible apportée à l’existence de Jupiter chaud, ces planètes extrasolaires de masse comparable à celle de Jupiter et orbitant très près de leur étoile.
Dans le cas de notre planète neptunienne, le rapprochement de l’étoile provoque une augmentation du flux lumineux et l’évaporation de l’atmosphère. Ensuite, le flux lumineux provoque la fonte du manteau de glace et la formation d’un immense océan dont la profondeur moyenne atteindrait vingt-cinq fois la profondeur moyenne des océans terrestres. La pression au fond de celui-ci resterait suffisante pour qu’une partie du manteau de la planète demeure à l’état solide.
Selon les calculs, la structure interne d’une planète-océan consisterait en un noyau métallique d’un rayon d’environ 4000 kilomètres ; au-dessus, un manteau rocheux d’une épaisseur de 3500 kilomètres, puis un second manteau constitué de glace et pouvant atteindre une épaisseur de 5000 kilomètres, le tout étant recouvert d’un océan d’une centaine de kilomètres de profondeur.
D’après ce scénario, une planète-océan serait donc une « super-Terre », environ deux fois plus grande et six fois plus massive que notre planète. Elle serait séparée de son étoile d’une distance voisine de celle qui sépare la Terre du Soleil et sa gravité de surface serait 1,5 fois supérieure à celle de notre planète. Jusqu’à présent, le modèle de la planète-océan reste hypothétique faute d’instrument suffisamment performant pour observer directement leur surface. Mais l’exoplanète Gliese 1214 b, découverte en 2009, possède justement les caractéristiques physiques du modèle de 2004…
Une atmosphère voisine de celle de la Terre
Le lexique de l’Imperium nous apprend qu’Arrakis est la troisième planète du système de Canopus. Cette étoile est, vue de la Terre, la plus brillante de la constellation australe de la Carène et la deuxième plus brillante étoile du ciel après Sirius.
Canopus est une étoile dont la masse est 6,9 supérieure à celle du Soleil. Avec un rayon 71 fois plus important que celui de notre étoile et une température élevée, 7 500 kelvins, Canopus est 15 000 fois plus lumineuse que le Soleil : c’est une supergéante bleue. Canopus est même l’étoile la plus lumineuse dans un rayon de 600 années-lumière autour du Soleil.
C’est aussi une étoile active comme l’ont montré les observations d’une équipe franco-allemande d’astronomes, opérant avec l’instrument Amber de l’interféromètre du Very Large Telescope européen (Chili) : la surface de l’étoile comporte d’immenses taches sombres, similaires à celles que l’on trouve sur le Soleil, révélant sans doute les mouvements de convection des couches externes de l’étoile.
Quelle est l’orbite d’Arrakis ? Une planète propice à la vie est située dans la zone dite « d’habitabilité » de son étoile. La vie telle que nous la connaissons reposant sur l’existence d’eau liquide, c’est sa présence à la surface de la planète qui fixe son habitabilité. Pour cela, il faut d’abord que la planète soit à la « bonne » distance de son étoile de sorte que le flux lumineux qu’elle en reçoit soit « raisonnable ». Si ce flux est trop important, la température de surface est trop élevée et l’eau s’évapore définitivement; s’il est trop faible, la température de surface est trop basse et l’eau gèle.
Ensuite, la planète doit avoir une atmosphère suffisamment dense pour éviter une évaporation rapide. Enfin, l’extension de la zone d’habitabilité dépend de la composition de l’atmosphère : si elle est riche en dioxyde de carbone – un gaz à effet de serre –, cela permet de la placer plus loin de son étoile.
Concernant Arrakis, sachant que son étoile est très brillante, 15 000 fois plus que le Soleil, pour recevoir le même flux lumineux que la Terre, Arrakis doit être 122 fois plus lointaine de Canopus que la Terre du Soleil. Mais il faut aussi tenir compte de trois autres facteurs : l’albédo, la composition atmosphérique et la température.
L’albédo est la fraction de l’énergie lumineuse reçue et renvoyée vers l’espace. À un albédo proche de 1 correspond une surface planétaire très réfléchissante et donc difficile à chauffer. À l’inverse, un albédo faible caractérise une surface sombre absorbant facilement la lumière.
Deux éléments permettent d’estimer l’albédo d’Arrakis : celui du sable est compris entre 0,25 et 0,3 ; l’albédo moyen de la Terre est de 0,3. La composition atmosphérique d’Arrakis fixera l’intensité de l’effet de serre planétaire. Liet-Kynes nous apprend qu’elle contient « 23 % d’oxygène, 75,4 % d’azote et 0,023 % de gaz carbonique, les gaz rares formant le reste. » Très voisine de celle de la Terre, l’atmosphère d’Arrakis provoquera un effet de serre comparable.
Enfin, Pardot Kynes nous indique la température moyenne d’Arrakis : « […] dans la large ceinture comprise entre les 70e degrés de latitude nord et sud, les températures, depuis des milliers d’années, oscillaient entre 254 et 332 degrés absolus. » La température moyenne d’Arrakis vaut donc 313 kelvins (degrés absolus), soit 20°C.
Pour atteindre cette valeur, 5 degrés plus élevée que celle de la Terre, avec une atmosphère provoquant le même effet de serre, il faut diminuer notre estimation initiale de distance afin d’augmenter un peu le flux lumineux. Tout calcul fait, Arrakis orbite à 17,3 milliards de kilomètres de Canopus, soit 115 fois la distance entre le Soleil et la Terre.
Arrakis, une planète terraformée ?
S’il semble possible qu’Arrakis soit habitable, il est très peu probable que la vie ait pu s’y développer. En effet, Canopus est une géante bleue dont la durée de vie beaucoup plus courte que celle du Soleil, de l’ordre de 5 millions d’années, ne permet pas l’apparition d’une vie indigène.
Considérant qu’il a fallu au moins 500 millions d’années pour que la vie apparaisse sur Terre, il est donc vraisemblable que la vie d’Arrakis y a été importée. Par ailleurs, l’atmosphère d’Arrakis contient à peu près la même proportion de dioxygène que l’atmosphère terrestre. Lorsque la vie voit le jour dans les océans terrestres, il y a au moins 3,8 milliards d’années, l’atmosphère de notre planète a une composition fort différente : elle est totalement dépourvue de dioxygène (O₂) et riche en gaz carbonique (CO₂).
Les premiers êtres photosynthétiques, des cyanobactéries, consomment le CO₂ atmosphérique et produisent de l’O₂. Mais durant le premier milliard d’années de la vie terrestre, l’O₂ ne s’accumule pas dans l’atmosphère, car il oxyde les minéraux dissous dans les océans, en particulier le fer.
La situation change il y a environ 2,5 milliards d’années, lorsque tous les éléments dissous sont oxydés. Le dioxygène commence alors à s’accumuler dans l’atmosphère d’autant que la production des cyanobactéries est progressivement complétée par celle du phytoplancton marin, apparu sans doute il y a 2 milliards d’années.
La teneur atmosphérique en O₂ augmente lentement entre -2,5 et -1,8 milliards d’années, durant une période nommée « la grande oxydation ». Pendant celle-ci l’O₂ atmosphérique oxyde les roches de surface formant ainsi la majorité des minéraux présents sur Terre. Ensuite, la teneur en dioxygène reste relativement stable durant encore 1 milliard d’années : les océans dégagent du dioxygène, mais il est utilisé pour former les « lits rouges » (redbeds en anglais), roches sédimentaires contenant des oxydes ferriques, et la couche d’ozone.
Sur le long terme, cette dernière aura l’effet bénéfique d’absorber l’essentiel du rayonnement ultraviolet reçu du Soleil, favorisant le futur accroissement de la biodiversité. Au cours de cette période, les organismes capables de pratiquer la respiration, c’est-à-dire capables d’utiliser le dioxygène disponible pour produire de l’énergie, ont peu à peu pris le pas sur ceux pratiquant la fermentation.
Il y a environ 600 millions d’années, les puits de dioxygène sont saturés et celui-ci s’accumule dans l’atmosphère. Cette modification est probablement à l’origine de l’apparition de la vie multicellulaire, de la faune de l’Édiacarien (-635 à -541 millions d’années) et de l’explosion de la biodiversité au Cambrien (-541 et -530 millions d’années).
La teneur maximum en O₂ – 35 % – est atteinte vers la fin du Carbonifère, il y a environ 300 millions d’années. À ce maximum de la teneur atmosphérique du dioxygène est associé l’expansion massive des forêts de fougères géantes sur la Pangée, l’unique continent d’alors.
Aujourd’hui, la concentration atmosphérique de dioxygène s’est stabilisée autour de 21 % et cette valeur est l’aboutissement d’une histoire couvrant plus de 3 milliards d’années et dans laquelle le vivant a joué un rôle crucial. Du coup, découvrir une exoplanète dont l’atmosphère serait riche en dioxygène serait un indice qu’elle porte une vie de surface.
Considérant la courte durée de vie de Canopus et le fait qu’Arrakis est dotée d’une atmosphère riche en O₂, il semble très probable qu’elle ait été terraformée avant que des formes de vie y soient importées. L’eau a donc coulé librement à la surface d’Arrakis, comme le déduit Pardot Kynes en découvrant une immense cuvette de sel dans le désert. Son plan pour transformer Arrakis en planète verte et fertile serait donc la seconde terraformation de la planète !
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