Extraits de l’entretien avec Denis Villeneuve
Par Lloyd Chéry
Et si Denis Villeneuve était le messie de Dune ? Le génial réalisateur a pour lourde tâche de transformer la malédiction planant autour des adaptations. Si une personne peut réussir cette « mission impossible » à Hollywood, c’est bien lui. Son amour pour la science-fiction, sa maestria technique et sa patte visuelle ne sont plus à prouver.
Alors qu’il terminait le montage du long métrage tant attendu, Denis Villeneuve a joué le jeu en répondant longuement par écrit à nos questions. Voir un réalisateur de ce niveau prendre sur son temps personnel pour parler avec nous de Dune prouve une nouvelle fois que Denis Villeneuve n’est pas comme les autres.
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Lloyd Chéry : Racontez-nous votre première lecture de Dune à l’âge de 12 ans. Ce livre a-t-il été important dans votre parcours artistique ?
Denis Villeneuve : J’ai découvert Dune au début de l’adolescence. J’ai été happé par la trajectoire de Paul Atréides, profondément ému par la mélancolie liée à sa condition. Son angoisse existentielle est très contagieuse pour un adolescent.
Paul doit négocier entre un héritage génétique, une éducation et un contexte politique qui s’imposent à lui avec violence. Il doit aussi s’adapter à une nouvelle réalité radicalement différente pour survivre. La capacité d’adaptation de Paul est une des veines importantes du récit. Sa fascination pour les Fremen, ce désir profond d’embrasser une autre culture, de s’y fondre m’avaient alors aussi impressionné.
Dune est pour moi une ode aux capacités de l’esprit humain, mais aussi une exploration de ses failles. L’idée des voix des générations précédentes qui s’expriment à travers notre bagage inconscient est puissante et m’inspire depuis. Il y a des traces de Dune dans à peu près tous mes films. Une partie de mon identité a directement été influencée par ce livre.
Lloyd Chéry : Quel est votre rapport au désert et que souhaitiez-vous faire d’Arrakis ?
Denis Villeneuve : Le désert est un amplificateur de l’âme. Son immensité inspire l’humilité et appelle l’introspection. Un périple dans le désert est un voyage intérieur. Le désert est un lieu récurent dans mes films où les personnages sont confrontés à leurs ombres, à leur inconscient.
Pour rendre le film le plus introspectif et immersif possible, j’ai décidé d’embrasser la nature telle quelle, avec sa lumière, et de résister à la tentation d’un exotisme imaginaire, fabriqué. Arrakis se doit d’être dangereusement familière pour que l’esprit du spectateur se laisse prendre au piège hypnotique de Dune.
Lloyd Chéry : Comment avez-vous abordé l’un des thèmes principaux qu’est l’écologie ?
Denis Villeneuve : Le roman est né des observations d’une expérience écologique. L’idée de la capacité d’adaptation des espèces est au cœur du récit. La précision toute scientifique avec laquelle Frank Herbert décrit les écosystèmes d’Arrakis et les stratégies de survie développées par les Fremen pour y vivre m’avaient vraiment impressionné.
Ce qui est singulier ici est que l’écologie n’est pas seulement une discipline scientifique, mais aussi la source d’inspiration d’une spiritualité. Herbert a imaginé un peuple qui a une relation sacrée très sophistiquée avec son environnement. C’est donc par un rapport sacré au monde naturel que j’aborde l’écologie dans le film. J’y vois une porte d’espoir pour notre futur. Je crois sincèrement que nous devons retrouver une part de sacré dans notre rapport à la nature. Herbert était d’ailleurs influencé par Jung.
Lloyd Chéry : Comment analysez-vous la saturation de l’imaginaire de space opera par les franchises Star Wars ou Star Trek ?
Denis Villeneuve : Le succès du premier Star Wars repose sur un design absolument impressionnant et un sens aigu de la vitesse. Mais malheureusement il n’y a pas eu vraiment d’innovation depuis le deuxième film de la série. Star Wars s’est vite cristallisé autour d’un vocabulaire visuel précis et de dogmes dramatiques crispés. Cela dit, Rian Johnson et Gareth Edwards ont réussi à amener un peu de vent frais.
Le fait que l’aura de Star Wars existe encore, malgré une longue suite de films décevants, témoigne de la force d’impact des deux premiers films. Mais ça demeure effectivement une influence incontournable pour tout cinéaste qui flirte avec le space opera. Il faut négocier avec cet éléphant. Star Trek n’a jamais vraiment réussi sa transposition au grand écran et demeure une œuvre qui s’articule sur des codes télévisuels.