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Dans les coulisses d'Aliens Dark Descent et du métier de narrative designer

Pour notre troisième entretien, nous avons le plaisir de rencontrer Thibaut Claudel, qui est passé avec succès du journalisme au monde de la création de contenu de jeux vidéo. Âgé de 31 ans, il revient sur son parcours et sur la manière dont il a lancé sa carrière au sein de l'industrie du jeu vidéo en tant que narrative designer pour Aliens Dark Descent, le prochain jeu du studio français Tindalos. Thibault Claudel est également l’auteur de l’essai Le Mythe Star Wars. Episode VII, VIII & IX : Disney et l’héritage de George Lucas, édité par Third Editions.

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment vous êtes devenu narrative designer sur la franchise Alien ?

J'ai commencé ma carrière professionnelle en tant que journaliste. Au fil du temps, en écrivant des articles pour des plateformes en ligne, j'ai développé une certaine compétence dans la création de contenu.

Cela m'a poussé à changer de camp, à passer de l’autre côté, et à rejoindre Wargaming, où j’ai pu allier ma passion pour l'écriture à mon amour pour les jeux vidéo. On m'a offert l'opportunité de m'impliquer dans des projets axés sur la narration. Ainsi, j’ai pu envisager d'écrire pour l'industrie du jeu vidéo et d'en faire une carrière à part entière.

Le destin a voulu que je commence par travailler sur l'adaptation de Goldorak en jeu vidéo. Ce projet a tout lancé. Un jour, j'ai envoyé mon CV au studio Tindalos, dont j'admirais énormément le travail, en particulier pour sa contribution à la franchise Warhammer 40.000. Mon profil a été apprécié, puisqu’on m’a contacté quelques mois plus tard pour travailler sur le projet Aliens Dark Descent.

Pouvez-vous nous parler de votre rapport à la franchise Alien ? Quel est votre film préféré et pourquoi ?

Après le lycée, lorsque j'ai quitté le domicile familial, je n'avais jamais regardé les quatre films Alien ! C'était amusant, car la plupart des gens les avaient déjà vus depuis longtemps. La révélation a donc été très tardive de mon côté.

Mais c’est aussi un avantage d’avoir pu découvrir la saga en ayant au préalable vu beaucoup d’autres films. J’ai développé une véritable passion pour ces films, et en particulier pour le deuxième. C’est mon préféré.

Pour moi, c'est une suite magnifique, mais je le considère aussi comme le blockbuster ultime, le genre de films que que j'ai envie de voir quand je vais au cinéma. Je pense même que sans avoir vu le premier film, on peut le regarder et comprendre de nombreuses choses. On peut l'apprécier en tant que grand film, en mettant de côté son statut de saga ou de suite, et en se concentrant sur les personnages.

Comment avez-vous abordé la création d'un jeu vidéo basé sur la franchise Alien ? Quels ont été les principaux défis auxquels vous avez été confronté en tant que narrative designer ?

Ce qui m'a marqué, c'est la collaboration avec les équipes, notamment avec Romain Clavier, qui était le game director sur Aliens Dark Descent. Nous avons travaillé en étroite collaboration.

J’ai eu la chance d’avoir une certaine marge de créativité. Je ne devais pas me contenter de reproduire ce qui avait déjà été fait. Certes, le processus de travail était un peu chaotique, mais c'est ainsi que fonctionne l'industrie du jeu vidéo. Nous posons constamment des questions et réessayons jusqu'à ce que tout le monde soit à peu près satisfait d'une scène ou d'une mission.

J'ai collaboré avec tous les départements. Par exemple, j’ai travaillé sur des graffitis, des affiches sur les murs, autant d’éléments narratifs qu’on retrouve dans le décor. C'est un aspect intéressant de ce métier auquel on ne pense pas forcément.

Aliens Dark Descent se situe entre les événements des films Aliens et Alien³. Comment avez-vous décidé de cette période pour le jeu et comment cela a-t-il influencé votre travail de narrative designer ?

Le principe d'avoir des colonies dans l'espace offre de nombreuses opportunités de développement. Dans le jeu, nous avons extrapolé à partir de ce qui se passe dans le deuxième film. Au niveau de la chronologie, le deuxième et le troisième film se déroulent tous les deux en 2179.

Nous avions déjà une chronologie partielle sur laquelle j'avais travaillé, mais cela nous a permis de déterminer ce que nous avions le droit de faire par rapport à ce que nous voulions faire, tout en restant bien sûr fidèles à l'univers du film. L’équilibre était délicat à trouver.

Il faut s'inspirer du film, mais ne pas le reproduire intégralement. J'ai vraiment été dans mon élément en travaillant sur ces aspects. D’ailleurs, le côté militaire du deuxième film correspond assez bien à mes goûts.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les personnages que les joueurs rencontreront dans Aliens Dark Descent ? Comment avez-vous travaillé pour leur donner vie et créer une expérience immersive pour les joueurs ?

Nous voulions créer des personnages qui se rapprochent du deuxième film, qui seraient aussi les plus attachants possible. Le personnage principal, Maeko, une cadre de la Weyland-Yutani, peut apparaître comme un reflet d’Ellen Ripley. Elle est elle-même une employée de la corporation, mais plus avec un côté "col blanc" et "camionneuse de l’espace".

Maeko a cependant une attitude un peu plus désinvolte. On a voulu travailler sur l’idée que, parfois, il faut agir rapidement pour prendre des décisions. Comment réagissent des gens qui sont bien installés dans une routine face à l'arrivée de ces créatures et de tous les obstacles qui se dressent subitement devant eux ?

Maeko est un personnage beaucoup plus introverti et qui occupe un rôle de cadre, de manager au sein de Weyland. Je dois reconnaître qu’il était assez dur de l'écrire. Le deuxième personnage le plus important du jeu, c’est Jonas Harper, un sergent des marines haut en couleur, avec un profil assez typique de l'univers de la franchise.

Les ennemis emblématiques de la franchise Alien, les xénomorphes, sont une partie importante du jeu. Comment avez-vous travaillé pour créer une menace crédible et effrayante pour les joueurs ?

L'un des éléments clés du jeu est sa forte focalisation sur la narration. C'était un défi pour toutes les équipes de développement de rendre les xénomorphes terrifiants et de plonger les joueurs dans les situations très intenses.

Notre choix d'utiliser une vue isométrique, assez originale pour la franchise, a également apporté une nouvelle dimension au jeu. Cette perspective plus éloignée nous permet de voir plus loin et de repousser les limites de la représentation habituelle d'un alien se trouvant simplement dans un couloir.

Notre objectif était aussi de susciter davantage de stress plutôt que de proposer des environnements cloisonnés, comme ceux du premier Alien. Nous voulions créer une sensation d'immensité où chaque buisson, chaque poubelle, chaque bouche d'égout pourrait potentiellement cacher un facehugger mortel. Chaque recoin est susceptible de dissimuler un danger.

Je tiens également à mentionner les adversaires autres que les xénomorphes, que nous avons dévoilés dans les bandes-annonces. Ils sont appelés les cultistes de la "Darwin Era" et ils vénèrent les xénomorphes. Ils ajoutent une dimension plus cosmique et lovecraftienne à l'univers d’Alien.

Les jeux vidéo ont le potentiel d'aborder des thèmes importants. Y a-t-il des thèmes particuliers que vous avez voulu explorer dans Aliens Dark Descent ?

À l'origine, l’idée des cultistes de la Darwin Era était une idée proposée par Romain, notre game director, qui l'a extrapolée d'une case dans les comics Dark Horse des années 80 (NDLR : plus précisément dans Aliens de Mark Verheiden & Mark A. Nelson).

Dans cette case, un groupe de personnes se faisait massacrer par des aliens, et l'un des personnages marquait avec son propre sang : "Darwin avait raison". Ce culte de la Darwin Era nous permet d'explorer l'idée de personnes qui pourraient vénérer les xénomorphes, les créatures alien.

Bien que cela ait été abordé de manière subtile dans Alien³ et dans des scénarios non tournés pour les films, nous sentons que c'est une idée qui a tourné autour de la franchise depuis quelques années.

En dehors du culte, le jeu insiste aussi sur la dimension corporatiste. Weyland-Yutani est sans doute l'une des meilleures entreprises pour mettre en avant cet aspect. Nous voulions également transmettre l'idée du sacrifice à travers les personnages, car il se passe des événements très durs dans notre histoire.

Cependant, il reste toujours une question morale de savoir si ces sacrifices étaient légitimes pour arriver là où nous en sommes. C'est ce genre de réflexion que nous voulions susciter chez les joueurs, en particulier avec le personnage de Maeko.

Y a-t-il une séquence ou une partie particulière d'Aliens Dark Descent que vous êtes particulièrement fier d'avoir créée en tant que narrative designer ?

Deux séquences me viennent en tête. Une confrontation entre notre héroïne, qui est une cadre de la Weyland-Yutani, et sa supérieure. C'est une scène de dialogue qui arrive assez tard dans le jeu.

Elle se présente sous la forme d'une cinématique plutôt longue, ce qui est assez rare dans les jeux vidéo, car elles coûtent cher. Je me suis un peu battu pour qu'on ait cette scène-là, car elle apporte une touche un peu plus humaine.

Il y a d'autres scènes davantage chargé d’un point de vue émotionnel. Je pense à ce que j'ai pu ajouter dans les interludes, parce que je craignais qu’on reste trop dans la narration “classique” des jeux vidéo. On ne respirait pas, on ne voyait pas des personnages qui craquent, qui doutent.

On a donc retravaillé les dialogues afin de susciter le plus l’empathie possible du joueur avec ces personnages.

Quelle est votre vision de l'avenir de la franchise Alien dans le monde des jeux vidéo ? Y a-t-il des histoires que vous aimeriez explorer dans de futurs projets ?

Je suis très intrigué par la série de Noah Hawley, qui devrait se dérouler sur Terre. Explorer l’aspect corporate m'intrigue particulièrement. Je pense que nous devrions avoir des croisements intéressants.

En ce qui concerne le projet Alien : Romulus de Fede Alvarez, je suis un peu plus mitigé. Son cinéma ne m'a pas forcément marqué. Cependant, je suis content de voir la franchise revenir à quelque chose qui m'a toujours semblé être une sorte d'anthologie.

Le hasard a voulu que les quatre premiers soient réalisés par des réalisateurs connus également en dehors de ces films. Des réalisateurs que nous avons appris à respecter au-delà de la franchise. J'étais vraiment persuadé qu'il y en aurait beaucoup plus par la suite, qu’il s’agissait juste du début d'une belle aventure. Finalement, cela n'a pas trop été le cas.

C’est sans doute ce qui explique pourquoi nous sommes toujours nostalgiques du projet de Neill Blomkamp. Je pense qu'une grande partie du plaisir est de découvrir comment ils vont s'y prendre.

Écoutez Thibaut Claudel au micro de notre podcast sur les coulisses de la franchise Warhammer 40.000.