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Dune versus Star Wars, deux conceptions de la space fantasy

Par Nicolas Allard

Et si à ce jour la seule adaptation réussie de Dune était… Star Wars ? En 2018, dans une interview donnée au site Fandom, le réalisateur canadien Denis Villeneuve laissa clairement entendre que la saga de George Lucas était l’héritière directe du roman de Frank Herbert : « La plupart des grandes idées de Star Wars proviennent de Dune, donc ça va être un défi de gérer ça. L’ambition, c’est de faire le film Star Wars que je n’ai jamais vu. D’une certaine manière, c’est un Star Wars pour adultes. »

Dans Dreamer of Dune, biographie de Frank Herbert écrite par son fils Brian, on apprend qu’à la sortie de La Guerre des étoiles en 1977 Frank Herbert reconnut seize points d’identité absolue entre son roman et le film de George Lucas. Un des éléments qui retinrent le plus son attention fut les nombreuses similitudes entre les deux principaux héros de chaque récit : Luke Skywalker et Paul Atréides.

 
Scène de la bataille de Carkoon dans le désert de Tatooine, sur la Khetanna (barge à voiles) de Jabba le Hutt, extraite du film Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi.

Scène de la bataille de Carkoon dans le désert de Tatooine, sur la Khetanna (barge à voiles) de Jabba le Hutt, extraite du film Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi.

 

Une expérience narrative proche

Les liens entre Dune et Star Wars sont indéniables et ont souvent été rappelés par les amateurs des deux univers. Bien qu’elles n’appartiennent pas au même média, ces deux histoires relèvent de la space fantasy, un genre dont l’intrigue allie un cadre spatial d’apparence futuriste à des éléments magiques.

Tout en évoluant dans un univers de science-fiction, Paul et Luke sont en effet associés à un certain mysticisme : leurs dons exceptionnels, qui font d’eux des combattants hors du commun, les rendent semblables à des demi-dieux. Dune et Star Wars proposent également une expérience narrative proche.

Dans ces épopées, le pouvoir d’un empire tyrannique est remis en question par une force rebelle s’appuyant sur une figure héroïque de premier plan. Les deux œuvres ayant de nombreuses similitudes, comment comprendre le fait que Star Wars soit devenu bien davantage que Dune un phénomène mondial et intergénérationnel ? Est-ce le pur fruit du hasard ? Ou existe-t-il des causes plus profondes ?

 
Jabba le Hutt est un seigneur du crime basé sur la planète Tatooine où il dirige l'une des plus puissantes organisations criminelles. Il a notamment capturé Han Solo et combat Luke Skywalker et ses alliés venus pour le sauver. Difficile de ne pas pe…

Jabba le Hutt est un seigneur du crime basé sur la planète Tatooine où il dirige l'une des plus puissantes organisations criminelles. Il a notamment capturé Han Solo et combat Luke Skywalker et ses alliés venus pour le sauver. Difficile de ne pas penser au physique ou à l’intrigue du baron Harkonnen, ennemi juré de Paul Atréides…

 
Scène de la fosse de Carkoon, en présence d’un Sarlacc, ver géant vivant dans le sable du désert de Tatooine, extraite du film Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi.

Scène de la fosse de Carkoon, en présence d’un Sarlacc, ver géant vivant dans le sable du désert de Tatooine, extraite du film Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi.

 

Paul et Luke, deux trajectoires divergentes

En tant que héros de ces récits, Luke Skywalker et Paul Atréides nous permettent de saisir les différences entre ces deux univers de space fantasy. Le premier tome de Dune et les trois films de la saga originale Star Wars sont construits sur le modèle du roman d’apprentissage. Un jeune individu, guidé par plusieurs mentors, apprend à devenir un homme tout en surmontant nombre d’obstacles dont la difficulté va croissant.

En règle générale, le roman d’apprentissage favorise l’identification du lecteur avec le personnage principal. On se prend de sympathie pour le protagoniste : sa jeunesse et les ennuis qu’il rencontre nous émeuvent. C’est sur ce dernier point que Dune et Star Wars divergent en profondeur.

 
Photographie de Luke Skywalker dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir, incarné par l’acteur Mark Hamill.

Photographie de Luke Skywalker dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir, incarné par l’acteur Mark Hamill.

 
Photographie de Luke Skywalker dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir, incarné par l’acteur Mark Hamill.

Photographie de Luke Skywalker dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir, incarné par l’acteur Mark Hamill.

 

Luke Skywalker reste un héros fondamentalement imparfait. Malgré ses nombreux exploits, il ne domine jamais totalement la situation. Il n’est en mesure de vaincre Dark Vador qu’à la fin de la trilogie ; et encore, ce duel victorieux est immédiatement contrebalancé par l’impuissance qui est la sienne face à l’empereur Palpatine.

Confronté à plusieurs malheurs peu de temps après son arrivée sur Arrakis, Paul Atréides ne connaît lui jamais la défaite. Aucun épisode de son existence n’est comparable aux échecs rencontrés par Luke dans L’Empire contre-attaque. Dans ce cinquième opus de la saga Star Wars, le fils d’Anakin ne parvient pas à maîtriser ses émotions, quitte la planète Dagobah sans avoir terminé sa formation entamée avec maître Yoda et finit par perdre le duel (et une main…) contre Dark Vador.

 
Photographie de Luke Skywalker et Dark Vador dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir.

Photographie de Luke Skywalker et Dark Vador dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir.

 

Là où sa trajectoire est sinusoïdale, celle de Paul suit une courbe ascendante après la perte brutale de son père. En l’espace de deux ans, il sauve sa mère des troupes harkonnens, devient le leader politique et religieux des Fremen, le peuple libre du désert, puis prend sa revanche sur les ennemis de sa famille en étant à l’origine d’une révolte qui fera de lui le nouvel empereur de la galaxie.

Ses succès sont à ce point nombreux et éclatants que les détracteurs du roman de Frank Herbert ont vu en lui une « Mary-Sue », voulant signifier ainsi son appartenance à la catégorie stigmatisée des héros jugés peu crédibles car trop parfaits. Or, s’il importe à un personnage héroïque de connaître de grandes réussites pour gagner l’enthousiasme des lecteurs, il est tout aussi essentiel pour lui d’être confronté à l’échec. L’empathie et l’identification qu’il est censé susciter sont à ce prix.

 
Photographie de Luke Skywalker admirant un double lever de soleil dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir.

Photographie de Luke Skywalker admirant un double lever de soleil dans Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir.

 

À la recherche de l’humanité perdue

Dans la trilogie originale Star Wars, Luke se distingue par sa compassion. Il est le seul personnage à percevoir le bien encore présent chez son père, le terrible Dark Vador. C’est d’ailleurs les qualités morales de Luke, bien davantage que ses qualités physiques, qui permettent le miracle final de l’épisode VI.

Le Retour du Jedi est un titre à double entrée, qui évoque le retour de Luke au premier plan aussi bien que la renaissance d’Anakin Skywalker. C’est par sa bonté naturelle que Luke offre à son géniteur une rédemption que tous jugeaient impossible. Son action est généreuse, dirigée vers autrui, et elle sera profitable à tous, la destruction de Palpatine par Dark Vador instaurant une nouvelle république et un meilleur équilibre au sein de la Force.

Le Luke orphelin au début de son aventure (son oncle et sa tante ayant été assassinés par les troupes impériales), à la fin du Retour du Jedi, (re) trouve son père, sa sœur et s’est constitué par ses liens amicaux une nouvelle famille.

 
Affiche du film Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi.

Affiche du film Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi.

 
Photographie de Paul Atréides dans Dune, incarné par l’acteur Timothée Chalamet.

Photographie de Paul Atréides dans Dune, incarné par l’acteur Timothée Chalamet.

 

À l’inverse, si la trajectoire héroïque de Paul est ascendante, sa finalité est placée sous le signe de la perte. Au cours de son odyssée personnelle, il doit endurer le décès de son père, de la plupart de ses mentors, mais aussi de son fils de 2 ans. Cet événement atroce pourrait amener le lecteur à éprouver une empathie extrême pour Paul. Pourtant, il n’en est rien. Ce qui fonde la plus grande perte subie par Paul dans le roman est celle de son humanité. Les dons de prescience qui sont les siens sont à ce point développés qu’il en vient à n’être affecté par rien.

D’ailleurs, au moment de fuir les troupes harkonnens dans le désert avec sa mère, il affirme à celle-ci qu’il est désormais « une monstruosité ». Aucun obstacle émotionnel ne ralentit son irrésistible ascension vers le trône. C’est au point que sa mère Jessica, dont l’amour maternel est incommensurable, se détache spontanément de lui à la fin de l’histoire.

 
Article de presse du Daily News daté du 19 août 1977.

Article de presse du Daily News daté du 19 août 1977.

 

Dune nous montre Paul devenir empereur, messie, surhomme, dieu vivant. Star Wars nous montre certes Luke devenir un Jedi, mais l’histoire s’attache aussi à nous le représenter en tant qu’ami, frère et fils. Chef-d’œuvre incontesté de la science-fiction, Dune tire sa profondeur et sa grandeur de la complexité de son personnage principal.

Mais Star Wars n’est pas devenue la saga la plus célèbre de la pop culture par hasard. Fabuleuse aventure de space fantasy inspirée de Dune, l’œuvre originale de George Lucas a eu le mérite de révéler que le plus grand défi d’un héros n’était pas tant de renverser des empires que de ne jamais perdre son humanité.

 
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